JOUR 8: FRÓMISTA / SAHAGÚN (72 km)

Carte jour 8

PROPOSITIONS DE DIRECTIONS À PRENDRE

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  • À la sortie de Frómista, utilisez la bande cyclable qui longe la P-980 jusqu’à Población de Campos.
  • Pour le Camino : à Población de Campos, à la sortie du village, suivre les traces à droite qui mènent à une piste en direction de Villovieco. (Compostelle à vélo)
  • (De notre côté, nous avons poursuivi sur la P-980 jusqu’à Carrión-de-los-Condes. Cette route bétonnée est vraiment agréable et paisible.)
  • En sortant de Carrión, prendre la PP-2411 pour les 17 prochains kilomètres, jusqu’à Calzadilla de la Cueza. Profitez d’une pause à l’Albergue Municipal.
  • À partir de Calzadilla, prendre la N-120 jusqu’à Sahagún. Vous longerez en bonne partie le Camino, à vous de voir ce qui vous convient.

RÉCIT

Aujourd’hui, nous devons nous rendre à Sahagún, ville située à la mi-distance du Camino Francés, « Centro del Camino ». C’est tout de même une étape symbolique que nous nous apprêtons à franchir. La matinée s’amorce tout en douceur, en compagnie des pèlerins. Par la suite, nous optons pour une petite route de campagne. Ces voies bétonnées ou asphaltées, peu achalandées et en bon état, nous comblent de joie. En tant que Québécoises, nous sommes plutôt habituées à un réseau routier passablement détérioré et peu adapté aux cyclistes.

La particularité de la journée réside dans le parcours qui sépare la ville de Carrión-de-Los-Condes, ville importante sur le chemin de Compostelle, et le petit village de Calzadilla de la Cueza. Cette portion du Camino de 17 kilomètres se réalise assez facilement à vélo, mais représente un tout autre défi pour les pèlerins qui y consacrent une demi-journée et plus. Cette route de béton se transforme en piste plutôt terne, sans point d’eau et surtout sans ombrage possible. Puisque nous partageons ce rude passage avec les marcheurs, nous considérons que nous n’avons pas le droit de nous plaindre de l’aridité ambiante.

Jour 8 le 17 km

J’ai partagé le récit de la journée notamment avec ma nièce qui a marché le Camino Francés. Cette dernière m’a répondu rapidement avec ce message : « Je me souviens de ce désert de 17 km, tout le monde l’anticipait. Je me souviens également des pipis de buisson pas évidents !!! :-) Tous les buissons sont des toilettes pour hommes, mais savoir reconnaître LE buisson toilette pour dame devient un talent nécessaire sur le Camino ;-). » Ce courriel décrit tellement bien le défi que posent ces portions de route pour les pèlerins, davantage pour la gent féminine dans ce cas-ci. Je peux très bien imaginer que de marcher pas à pas ces kilomètres met encore plus en relief le caractère désertique de ce segment du Camino. Pour se consoler, soulignons que des aires de repos ont été aménagées.

C’est au bout de ce sentier aride qu’apparaît l’Albergue Municipal de Peregrinos de Calzadilla. La plupart des pèlerins profitent assurément d’une halte, d’autant plus que l’on peut jouir de la terrasse. Sylvie et moi sommes comblées de pouvoir nous accorder une pause à l’ombre et de manger autre chose qu’une boîte de thon. Il ne nous reste que 25 kilomètres à rouler, nous avons tout notre temps. Beaucoup d’action se déroule autour de nous : des pèlerins qui se retrouvent, d’autres qui s’isolent et certains qui font connaissance dans le but de briser la solitude de la marche. Puisque nous n’entendons pas souvent parler français, nous nous intéressons à une discussion animée entre des Québécois et des Français. Même si nous prenons plaisir à épier leur conversation, en un instant nous constatons que les échanges ne s’avèrent pas des plus généreux. Certains, en mode compétition, se targuent de se déplacer plus rapidement que prévu. Un homme du groupe se moque d’une jeune femme qui fait transporter ses bagages d’un arrêt à l’autre. Ainsi, selon cette conception, une personne qui profite de ce service entacherait son image « vrai pèlerin ». Nous avons aussitôt cessé l’espionnage de ces échanges pour nous concentrer sur notre bon repas et revenir à notre tandem plus serein et empreint de solidarité.  

Jour 8 calzadilla de la cueza

Lorsque nous arrivons à destination au milieu de l’après-midi, c’est la fête au centre-ville de Sahagún. Les citoyens de tout âge portent leur plus belle toilette et on dépose une montagne de nourriture sur les tables disposées sur la place publique. En tant que pèlerines à vélo aux vêtements plutôt souillés, nous détonnons quelque peu dans ce décor de grande occasion. Comme à l’habitude, malgré le plan que nous avions élaboré, nous ne trouvons pas notre hôtel. Nous nous adressons donc à des fêtards masculins, en duo ou en trio, afin que l’on nous oriente vers notre gîte. La vivacité avec laquelle ces hommes tentent de nous guider s’avère assez amusante. Ils utilisent leur téléphone et s’obstinent passionnément entre eux sur le meilleur itinéraire à emprunter. En dernier lieu, ils nous aident à récapituler avec les gestes et les mots clés : à la droite (a la derecha) et à la gauche (a la izquierda). À la suite de ces échanges des plus animés et après avoir suivi leurs instructions sans succès, nous repérons enfin notre hôtel une heure plus tard, alors que celle-ci se trouve à 500 mètres du centre-ville.

Sahagun

En arrivant devant l’hôtel, une pèlerine assise à la terrasse nous accueille en nous informant que « ce n’est pas encore ouvert ». Nous tenons pour acquis qu’elle fait référence à notre gîte. Nous prenons alors la traditionnelle bière et avons un échange des plus intéressants avec cette femme originaire de Normandie. Elle nous explique qu’elle avait amorcé le Camino l’an dernier et qu’elle a dû s’arrêter à cause de problèmes de santé. Elle nous entretient également de la grande solitude vécue sur le chemin de Compostelle en solo. Là où cette pèlerine captive l’attention de Sylvie, c’est au moment où elle décrit sa traversée à la voile avec son mari de la Normandie vers le Québec. Toutes les deux discutent du défi que représente une telle odyssée et notre navigatrice tente de convaincre Sylvie de tenter l’aventure. Pour cette dernière, il est difficile d’imaginer d’entreprendre, seule, une telle traversée.

Notre bière terminée, notre nouvelle collègue se réjouit de constater que l’albergue, juste en face, ouvre enfin ses portes. Cette femme croyait que nous allions également y dormir et c’est pour cette raison qu’elle nous avait interpellées à notre arrivée. Ainsi, nous avons patienté et pris l’apéro à la terrasse de notre hôtel bien prêt à nous accueillir. Cet heureux imbroglio aura donné lieu à un échange inattendu des plus riches avec cette sympathique marcheuse.

Un dernier avantage lié à la recherche laborieuse de notre hôtel réside dans la découverte d’un lavoir tout près. Quelle merveille ! Jusqu’à maintenant, la lessive s’est faite à la main, alors l’idée d’entreprendre l’exercice en profondeur cette fois et d’utiliser la sécheuse nous enthousiasme. Nous observerons une pause de vêtements encore humides sur nos cordes à linge artisanales demain matin !  

RÉFLEXION DE LA JOURNÉE

Le penseur

La discussion dont nous avons été témoins lors de notre pause du dîner nous a plutôt mises mal à l’aise. Une des raisons découle du fait que c’est avant tout un compatriote qui fanfaronnait. L’autre est liée aux différentes conceptions de la nature du « vrai pèlerin ». Un marcheur qui profite du service de transport de bagages entre deux étapes demeure sujet à la critique. Selon certains puristes, l’authentique pèlerin se déplace à pied, porte son sac à dos, souffre et n’a pas d’argent. Basé sur ces critères, je crois bien que Sylvie et moi passerions pour des imposteurs. Nous ne répondons à aucune de ces caractéristiques, sauf pour le porte-bagages de nos vélos.

Que l’on marche ou que l’on roule, je crois que c’est l’ouverture à l’autre et à l’univers du Chemin qui caractérise le pèlerin. J’ajouterais que cette expérience hors du commun nous amène à développer une propension particulière à se réconcilier avec l’humanité. C’est pourquoi cette scène de vantardise et de moquerie de ce midi me semblait incompatible avec l’esprit du Chemin. Par ailleurs, je ne suis pas dupe, je comprends très bien que les personnes demeurent ce qu’elles sont, peu importe le sens qu’elles donnent à ce défi. Un individu aigri qui marche le Camino et qui souffre le martyre ne se transformera pas nécessairement. Même si sa situation remplit deux des quatre critères de la liste des puristes, la nature humaine ne se métamorphose pas si aisément. Ainsi, seul le pèlerin lui-même est en mesure de juger de l’authenticité de son expérience sur le Chemin. Ce n’est pas le regard de l’autre qui fait foi de la conformité de son identité.