Et moi, comment expliquer ma motivation à rouler le Camino et à poursuivre ? J’ai entendu et lu plusieurs témoignages qui évoquent une quête, une évasion à la suite d’un bouleversement, une transition de vie ou encore, un retour à soi. Contrairement à ces pèlerins s’inscrivant dans une visée bien définie, je dois avouer bien candidement que j’ai accepté la proposition de Sylvie de faire Compostelle à vélo en me disant simplement « Pourquoi pas ? ». Profitant de la retraite depuis deux ans, ce défi représentait un programme bien motivant. N’étant pas l’initiatrice de ce mythique voyage, je n’avais pas d’a priori à l’esprit. Par contre, force est de constater que c’est plutôt en cours de route que se précise mon inspiration. À bien y penser, je réalise que le début du périple s’accompagne d’une première sensation de vertige liée à une nouvelle que j’ai appris la journée-même de notre départ. C’est à ce moment qu’on a confirmé à ma grande amie Sylvie (une autre Sylvie) un diagnostic de sclérose latérale amyotrophique (SLA). Ce matin-là, en discutant avec celle-ci sur cette terrible nouvelle, Sylvie me confiait qu’elle userait de son droit à l’aide médicale à mourir le temps venu. Dans son cas, cela signifiait que le tout se réglerait rapidement. Je suis partie pour Compostelle avec ce poids énorme qu’elle avait déposé au cœur de notre longue complicité. En pédalant depuis trois jours, j’ai l’impression d’amoindrir la lourdeur associée au sentiment d’une perte incommensurable. Rouler sur le Chemin me permet d’alimenter mes réflexions sur la place essentielle de l’amitié dans ma vie.
Cette journée qui présentait tout un défi physique et moral me fait réfléchir sur le dépassement de soi. La fin du trajet nous a mises à rude épreuve et a certainement interpellé ma capacité d’endurance, insoupçonnée jusqu’à ce jour. J’ai vécu un moment où, complètement exténuée, je voulais tout arrêter. Pourquoi n’ai-je pas démissionné ? Spontanément, je crois que c’est en raison du lien qui s’est déjà établi avec Sylvie, ma complice de vélo. Si j’avais été seule, je n’aurais pas eu la force de continuer sur ce sentier aride. Même si notre relation n’en est qu’à ses débuts, nous avons développé rapidement une loyauté, qui fait en sorte que chacune peut compter sur l’autre en tout temps. La question de l’abandon ne se posait donc pas. À l’image de ce que nous avons vécu lors de notre première journée dans les Pyrénées, c’est un peu comme si notre interdépendance décuplait l’endurance et la résistance à la fatigue.