Créer un site internet

JOUR 1: SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT / ESPINAL (AURIZBERRI) (37 km)

Carte jour 1

Pour chacune des journées, j'intègre une carte fabriquée artisanalement afin d'illustrer le trajet parcouru. Ces cartes ne peuvent servir comme unique guide pour un cycliste qui s'aventurerait sur le Camino Francés.

 

PROPOSITIONS DE DIRECTIONS À PRENDRE

Img 0251

Pour ce trajet, tous les guides s’entendent : le cycliste doit prendre la route et non pas le Camino qui n'est pas du tout adapté au vélo hybride, de route, de montagne ou VTT.

  • Point de départ à SJPDP : place Charles de Gaule au centre-ville.
  • Prendre la D933 en direction de Pamplona.
  • À la frontière franco-espagnole, la D933 devient la N135.
  • À Valcarlos, prenez une bonne pause. Après ce village, dans 14,5 km, vous atteindrez le col de Roncevaux qui est à un dénivelé de 1057 m.
  • À Roncesvalles, vous pouvez profiter de plusieurs services pour vous arrêter dormir et manger. À la sortie de la ville se trouve un panneau qui annonce que Santiago de Compostela est à 790 km (pourquoi pas une photo ?).
  • Poursuivez sur la N135. Il y a également une piste cyclable balisée sur le côté.
  • Vous roulerez 8 km jusqu’à Espinal (Aurizberri en basque), route très agréable et réparatrice après le défi des Pyrénées.

RÉCIT

6h00:

Après avoir discuté avec quelques pèlerins, nous avons compris que ceux-ci doivent prendre le Camino dès l'aube pour s’assurer une place à l’albergue (1) du village où ils comptent s’arrêter pour dormir. De notre côté, nous ne vivions aucun stress de ce côté, nos hébergements étant déjà réservés. Malgré cela, Sylvie et moi avions convenu de nous mettre en route assez tôt considérant l'incertitude du parcours à effectuer en cette première journée. Nous avons donc ciblé un café qui ouvre à 6 h et n’avons pas été en mesure de dénicher l’endroit en pleine noirceur. Nous apercevons finalement de la lumière émanant d’une auberge de pèlerins qui offre le déjeuner à tout passant. Le menu est au plus simple, au grand désespoir de Sylvie qui ne repère sur la table commune aucune protéine dont elle a tant besoin le matin. De mon côté, je me réjouis puisque se trouve du beurre d’arachide au menu.  

8h00:

Nous montons finalement sur notre vélo, toutes fébriles et tellement excitées. En quittant Saint-Jean-Pied-de-Port (SJPDP), c’est une campagne bucolique qui nous accueille. On y trouve plusieurs fermes et quelques troupeaux de vaches qui nous observent. Sylvie, qui entretiendra toujours un dialogue avec les bêtes que nous croiserons, sympathise plus particulièrement avec une des vaches du groupe. Cette belle complicité s’interrompt au moment où le propriétaire vient récupérer, en moto, sa fugueuse qui stagne au milieu de la route. 

Ces premiers kilomètres nous font prendre conscience de l’énorme défi lié au poids de nos sacoches bien remplies. Avec toute cette charge à l’arrière du vélo, nous devons décupler la force déployée sur les guidons pour garder un équilibre. De plus, lorsque l’on s’arrête, on ne peut se servir de la béquille en raison de la lourdeur de nos bagages. Ainsi, la logistique de la stabilité du vélo, en pause ou en route, représentera définitivement un réel enjeu.   

10h00:

Après avoir traversé la frontière espagnole, nous nous accordons notre première pause au café de Valcarlos. Je savoure mon premier café con leche avec grand plaisir. Il fait déjà très chaud et l’on réalise rapidement que cette température mobilise beaucoup de notre énergie. Nous comprenons dès lors que cette chaleur intense nous accompagnera invariablement tout au long de la route. On sait que la prochaine partie s’annonce difficile, mais on ne peut imaginer jusqu’à quel point.

 

 

 

14h00 :

Nous grimpons depuis trois heures cette route qui traverse les Pyrénées. La quasi-absence d’accotement et une circulation dense ajoutent à la difficulté. C’est notre première journée et la force de nos mollets n’est pas au rendez-vous. Lorsqu’il devient impossible de continuer à pédaler dans ces côtes qui n’en finissent plus et que l’on doit descendre du vélo, il s'avère périlleux de tenter de se remettre en selle. Le poids de la bicyclette et la pente abrupte rendent l’opération dangereuse et l’on ne veut pas se blesser en début de voyage. Ainsi, pour une bonne partie du parcours, nous marchons et poussons notre vélo.

Jour 1 premiere journee les cotes

Complètement abasourdies par l’ampleur de l’effort demandé et sentant une certaine fatigue, nous sommes prises de fous rires assez intenses. Nous rigolons un bon coup alors que l’on réalise jusqu’à quel point nous n’étions aucunement préparées à affronter cette première journée. Ces rires contagieux retentissant au moment où la situation paraît plutôt inquiétante me réconfortent grandement. Mentionnons un autre instant de réconfort à la pause-dîner : Sylvie dispose d'une boîte de thon et de biscottes qu’elle s'est procurées avant de partir de SJPDP. Ma complice apportera toujours des victuailles qui nous sauveront la vie quand vient le moment de s’alimenter. On ne trouve pas nécessairement un café tout près lorsque la faim nous torture.

Jour 1 roncesvalles la chapelle

À la lecture de notre bible, nous avions mémorisé la photo d’une petite chapelle au sommet du col de Roncevaux. Nous savions qu'au moment où nous apecevrions cette église, la rude montée serait enfin terminée. Nous avions donc très bien enregistré l’aspect extérieur de cette fameuse chapelle.

Je n’ose dévoiler le nombre de fois où l’on a cru que la route se dégageait enfin pour laisser place à la vue de cette fameuse église. J'estime possible que la chaleur intense ait provoqué chez nous des hallucinations visuelles faisant en sorte que la chapelle et sa croix se révélaient à nous, même si nous étions encore bien loin de notre cible rêvée.

16h00 :

Après avoir franchi le col, nous prenons une pause bien méritée à Roncevaux. Au café de la place nous croisons les habitants de la ville et de nombreux pèlerins. Nous retrouvons les trois Québécoises rencontrées sur le train qui ont parcouru le trajet à pied en deux jours. Lors de notre halte, je lance une recherche sur Google Maps pour repérer le lieu de notre hébergement. L'itinéraire à vélo indique : 2 jours et 10 heures jusqu’à l’hôtel Kyrial à Épinal. Je trouve cela curieux et crois fermement que c’est une erreur de la part du moteur de recherche.

En quittant Roncevaux, un panneau annonce les kilomètres à venir jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Ce chiffre semble plutôt irréel en cette première journée. 

Jour 1 santiago 790 km

17h00 : « Il n’y a pas qu’un chien qui s’appelle Fido »

Arrivées à Espinal, complètement exténuées, nous effectuons rapidement le tour du village. L’endroit ne laisse aucunement présager l’existence du chic hôtel Kyriel dans les environs. Le seul gîte hôtelier de la place semble passablement louche et peu accueillant. Nous nous sentons bien loin de notre escale rêvée, la chambre la plus chère de toutes nos réservations. C’est au parc que l’on prend le temps de revoir notre liste de locations et que la dure réalité s’impose. L’hébergement choisi se situe plutôt à Épinal, ville française, et non pas au petit village d’Espinal en Espagne où nous dormirons ce soir.

18h00 :

L’albergue du centre-ville affiche complet et nous décidons d’aller dormir à l’hôtel du coin. C’est à cet endroit que nous rencontrons notre premier « ange de parcours ». Cet homme, à la terrasse, avec qui nous discutons du plaisir de voyager à vélo, constate que nous sommes sur le point de réserver une chambre. Il s'empresse de nous recommander fortement une autre auberge de pèlerins tout près. Nous nous croisons les doigts pour qu’il reste encore de la place, sachant que c’était complet hier. Par chance, un jeune couple sicilien nous accueille chaleureusement et nous pouvons enfin nous déposer. Plus tard, nos hôtes nous proposent de partager avec eux un repas typique de leur pays : pâtes, veau, dessert et vin à volonté bien sûr.

22h00 :

Pour des filles qui ne voulaient pas se retrouver dans des auberges de pèlerins, nous voilà pour notre première nuit dans un dortoir. Nous devons nous accommoder de serviettes de bain et de couvertures laissées par les résidents, apparemment bien lavées. On aura donc déjeuné et dormi dans une albergue au jour 1 de notre périple. Je prends le temps d’écrire mon récit à mes amis, pratique inconditionnelle que je respecterai les soirs suivants. Lorsque je me couche, je ne sais trop par quel phénomène, mais je sens mon corps encore tout stimulé et incapable de se détendre. Comme si la demande d’effort de la journée demeurait programmée et que je ne réussissais pas à transmettre un nouveau message, « pause » à mon organisme. À cela s’ajoutent les ronflements de mes voisins. Je crois bien reconnaître ceux de Sylvie au loin.

RÉFLEXION DE LA JOURNÉE

Le penseur

À deux c’est mieux

J’ai réalisé en cette première journée passablement laborieuse la valeur ajoutée d’une expérience à deux plutôt qu’en solo. En ce qui me concerne, si j’avais roulé cette première étape seule, je peux très bien imaginer que j’aurais pris le premier bus à Roncevaux et mis fin à ce projet. J’ai vécu quelques voyages à vélo en solitaire et j’en ai monté des côtes, mais là ma capacité d’auto-encouragement n’aurait pu suffire à m’adapter à un tel défi. La présence de l’autre change tout. Et ce, malgré le fait que cette autre ronfle la nuit et qu’elle réserve une chambre en France alors que l’on se trouve en Espagne. L’influence d’autrui semble avoir la propriété miraculeuse de multiplier les forces, le courage et la persévérance. C’est dans cette interminable pente que j’ai pu expérimenter le sens profond du partage.

Dans les nombreux tournants, aux moments d’arrêt, nous verbalisions notre ras-le-bol, le tout accompagné de rires contagieux. C’est un peu comme si le fait de pouvoir exprimer ma fatigue à Sylvie, elle en devenait dépositaire, sans bien sûr que cela ajoute à sa propre lassitude. Chacune de nous confiait son épuisement à l’autre et cet échange prenait place dans notre relation.

Lors de nos multiples pauses, nous commentions vigoureusement avec le peu d’énergie restante, notre sous-estimation de l’ampleur de l’effort physique inhérent à la montée des Pyrénées. « Quelle drôle d’idée avons-nous eue là ? » L’autodérision prenait racine et ce réflexe nous soutiendra tout au long de la route. Je réalise que Sylvie avait également cette capacité de rire d’elle-même. Nous n'étions aucunement axées sur la performance, mais plutôt à la même page dans ce grand livre de l’expérience de la vie.

Je réalise également que le jumelage aurait pu se révéler catastrophique, puisque nous ne nous connaissions que très peu. Une telle aventure nécessite une certaine maturité, une capacité respective à nous assumer d’abord et avant tout. Sinon, la dépendance de l’autre peut devenir un fardeau et l’on ne peut se permettre d’ajouter un tel poids au défi physique et moral que représente le Chemin. Plus d’une personne m’a confirmé la chance que nous avons eue de pouvoir compter l’une sur l’autre, dans le partage de nos doutes et de nos difficultés. Le choix du compagnon de voyage ne doit donc jamais se faire à la légère. De notre côté, le tout s'est avéré un heureux pairage. C’était un coup de dés.

(1) Albergue est l’équivalent de l’auberge pour les pèlerins sur le Camino.

×