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JOUR 11: ASTORGA / MOLINASECA (52 km)

Carte jour 11

PROPOSITIONS DE DIRECTIONS À PRENDRE

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  • La sortie d’Astorga se fait par la route LE-142.
  • À l’entrée de Murias-de-Rechivaldo, quittez la LE-142 par la gauche; le Camino se poursuit par la LE-6304 jusqu’à El Ganso. Suivre cette route qui longe le Camino.
  • Vous arriverez à Rabanal-del-Camino. Profitez de ce petit village coloré.
  • En quittant Rabanal, optez pour la LE-142 au lieu du Camino très étroit et accidenté.
  • Après Foncebadón, vous arrivez à « la Cruz de Ferro », lieu légendaire du Camino. C’est le moment de déposer le caillou (ou la roche) que vous aurez apporté de la maison. 
  • Après la Cruz de Ferro, prendre la LE-142 jusqu’à Manjarin. Continuer sur LE-142 pour atteindre le Collado de las Antenas, point le plus élevé du Camino (1,508 mètres d’altitude).
  • Prendre la direction d’El Acebo de San Miguel, pour une très longue descente de 15 km jusqu’à Molinaseca. Cette descente demande beaucoup de prudence, tout en offrant un point de vue inoubliable.
  • Vous entrerez dans le petit village de Molinaseca par le Puente de los Peregrinos.

RÉCIT

Nous prévoyons aujourd’hui un itinéraire particulièrement impressionnant : départ d’Astorga (872 mètres d’altitude) pour pédaler jusqu’au plus haut point du Camino Francés (1,508 m) et ensuite redescendre vers notre destination, Molinaseca (586 m). Sylvie appréhende la montée et de mon côté, cela ne me pose aucun souci puisque nous roulerons sur du béton uniquement. Mon mauvais karma des chemins de terre rocailleux ne fait pas partie du programme.

Le départ d’Astorga s’effectue par une matinée plutôt froide. Après quelques minutes à pédaler, nous ressentons le besoin d’un vêtement chaud et nous nous arrêtons sur le bord de la route qui longe le Camino. Les pèlerins sont visiblement mieux préparés que nous pour affronter ce temps frisquet. Sylvie s'arrête à l’avant et je fais de même tout près derrière. Avec mon système de classement, je ne peux savoir dans laquelle des deux sacoches se trouve ma veste. Je me sens toutefois à l’aise d’extraire chacune des composantes de mes bagages que je dépose sur le trottoir. Je dois mettre la main sur ce fameux manteau que je n’ai pas utilisé jusqu’à maintenant. Évidemment, celui-ci  ne se trouve pas dans la première sacoche examinée. Je poursuis donc avec l’autre. Sylvie, de son côté, cherche minimalement dans ses sacs et abandonne rapidement. Elle referme le tout, sans sa veste, et m’attend bien patiemment (qualificatif discutable ici). Je finis par mettre la main sur ce manteau de sport qui fait toute la différence. Nous voilà à nouveau sur notre départ.

 

Nous circulons sur une route de campagne jusqu’à un petit village absolument charmant, Rabanal del Camino. C’est le type de localité que l’on retrouve régulièrement sur le Chemin. Cet endroit caractéristique a vraisemblablement profité de la popularité du circuit de Compostelle dans les dernières années. Lorsque l’on arrive dans ces villages, généralement je pars à la recherche d’un café et Sylvie d’une épicerie, ou d'une église. Chacune y trouve son compte et nous prenons le temps d’apprécier ces environnements uniques et savoureux.

À la sortie de Rabanal, « les choses sérieuses commencent » comme le mentionne notre bible. À ce stade-ci du voyage, nous sommes devenues des pros de la montée avec nos mollets d’acier. Il ne nous reste qu’à bien équilibrer l’effort, sans oublier la philosophie de «la pleine conscience de la roue avant ». Nous savons maintenant repérer les inestimables zones d’ombre qui nous servent de refuges aux moments où nous devons nous arrêter.

Jour 11 rabanal

Après quelques kilomètres, nous atteignons finalement la Cruz de Ferro, endroit mythique du Chemin s’il n’en est un. Au pied de cette fameuse croix se trouvent des tas de cailloux de tailles variées déposés par les pèlerins depuis des siècles. La tradition veut que chacun y laisse une pierre transportée depuis le lieu de départ. C’est en la déposant que le pèlerin se libérerait de ce qui lui pèse.

Avant notre départ, Sylvie m’avait rappelé à plusieurs reprises l’importance d’apporter une roche dans mes bagages, afin d’observer ce rituel du Chemin. Je ne prenais pas au sérieux cette coutume, mais j’avais tout de même glissé dans mes sacoches un coquillage bien léger ; il n’était pas question de me munir d’une pierre en surcharge pondérale. Nous voici donc au pied de cet emblème où règne une ambiance qui invite au recueillement. Nous respectons silencieusement le cérémonial en déposant nos cailloux. J’échange avec un jeune homme qui dit rechercher la pierre qu’il a déposée il y a quatre ans. Paris audacieux considérant la masse de roches qui nous entoure.  

Nous nous retrouvons un peu en retrait et discutons du thème qui nous habite et plus particulièrement de la difficulté que l’on vient de déposer par le symbole de la pierre. En ce qui concerne Sylvie, son enjeu réside dans le travail et sa façon de composer avec les changements à venir. Quant à moi, ma préoccupation majeure est devenue la mort imminente de ma grande amie qui souffre d’une maladie dégénérative dont j’ai traité au début de mon récit. Le partage de nos inquiétudes respectives dans le cadre de ce rituel singulier nous rend bien émotives toutes les deux. Ce moment de complicité bienveillante s’harmonise au décor légendaire environnant. Finalement, Sylvie aura eu raison d’insister pour que l’on apporte chacune une pierre de la maison.

Jour 11 la cruz sylvie

Nous roulons quelques kilomètres pour atteindre le plus haut point du Camino Francés, lieu où un panneau routier indique aux cyclistes que la pente des quinze prochains kilomètres est forte (pendientes fortes) et que la prudence est de mise. Notre bible en ajoute en précisant que le dénivelé moyen se situe à plus de 8 % et que « les freins vont chauffer » (Calas, op.cit., p. 100).

Jour 11 on descend

Ce point de vue donne lieu à une généreuse dose d’adrénaline. L’exaltation et la prudence incontournable s’amalgament tant bien que mal. Nous y allons tout doucement et réalisons en peu de temps que notre poids nous propulse dans la pente escarpée. Il faut serrer les freins au maximum. Je constate rapidement que ceux-ci auraient profité d’un ajustement préalable, mais je ne m’étais pas rendu compte du défi que représentent ces descentes. Par chance, la chaussée pavée est lisse (pas de nids de poule) et nous sommes seules. C’est une descente à couper le souffle ! La force incroyable à déployer sur les freins se conjugue avec le silence absolu, des montagnes majestueuses et un sentiment de pleine liberté.  

Jour 11 les cotes 1

 

Rapidement, je sens mes mains endolories et mes pouces engourdis en raison de la vigoureuse pression que je dois maintenir tant que je dévale cette pente. Cela m’apprendra à négliger le réglage de mes câbles de frein. Nous ne nous arrêtons qu’à deux ou trois reprises dans cette longue descente de quinze kilomètres. Ces pauses font contrepoids à tout l’effort déployé précédemment dans les multiples pentes ascendantes qui n’en finissaient plus. Chose certaine, nous avons pris une foule de photos afin d’immortaliser ce paysage des plus exceptionnels. Bien sûr, celles-ci ne peuvent rendre justice à l’incomparable magnificence d’un tel panorama et à l’émotion suscitée.

Au milieu de l’après-midi, nous arrivons à Molinaseca, petit village médiéval. Du pont qui nous permet d’y entrer, on aperçoit une véritable piscine naturelle aménagée à même la rivière. Notre auberge est tenue par un couple fort sympathique qui, après avoir fait le chemin de Compostelle, a décidé de s’installer à Molinaseca. Ils sont propriétaires de deux sites ; nous dormirons dans le premier ce soir et nous rendrons très tôt demain dans le second juste à côté où l’on offre le petit déjeuner. Le village s’avère minuscule et tout le monde se retrouve au café-restaurant près de la rivière où l’on s’offrira l’apéro et le souper. Cette magnifique journée imprégnée d’humanité et de beauté restera gravée éternellement dans ma mémoire.

RÉFLEXION DE LA JOURNÉE

Le penseur

Le rituel du caillou au pied de la Cruz de Ferro a fait ressurgir le spectre de la mort imminente de ma grande amie Sylvie (une autre Sylvie). J’ai décrit à quel point sa maladie dégénérative et son décès éventuel habitent mes pensées quotidiennement depuis Saint-Jean-Pied-de-Port. Aujourd’hui, au pied de la croix, j’y ai mis mon coquillage en souhaitant que ce geste métaphorique puisse débarrasser Sylvie de la lourdeur associée à sa nouvelle vie qui venait de basculer. J’espérais bien naïvement, mais sincèrement, que cette action puisse alléger la grande souffrance inhérente à cette maladie tellement injuste. Je lui ai exprimé mon intention de la journée et elle m’a répondu aussitôt « Je suis sans mot pour te traduire ce que mon cœur ressent à la lecture de ton courriel… tu as toujours su toucher mon âme… alors, on est proche de l’éternité tu ne crois pas ? » Cette grande complicité au cœur de nos deux réalités, moi qui pédale et Sylvie qui accuse le coup de la dégradation rapide, se vit silencieusement à l’image de notre perpétuelle connivence.

En fait, je réalise que de mon côté je tente tant bien que mal d’encaisser le cou. En dépit de la distance qui nous sépare, je me sens curieusement plus proche de Sylvie. Sur le Chemin se trouvent le silence, l’effort, la réflexion et la concentration sur l’essentiel. Ainsi, je ne suis pas perturbée par toute l’agitation de notre réseau commun dont je devine l’intensité à distance. Il s’établit un dialogue sur la nature même de notre relation. Plus les jours passent, plus j’apprivoise son choix de ne pas permettre une trop longue dégradation de sa condition. Nous cheminons chacune à notre façon sur nos routes respectives. Ma grande amie a finalement reçu l’aide médicale à mourir un peu plus d’un mois après mon retour de Compostelle, le 23 octobre 2019. Je la garde dans mon cœur pour toujours.