JOUR 16: ARZÚA / SAINT-JACQUES-DE-COMPOSTELLE (45 km)

Carte jour 16

PROPOSITIONS DE DIRECTIONS À PRENDRE

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  • Prendre la N-547 à la sortie d’Arzúa.  Après 5 km, prendre à droite la direction de Fontelas. 700 m plus loin, on rejoint le Camino. Vous retrouverez la bordure de la N-547 au niveau du hameau de Salceda. Suivre le Camino et vous arriverez au village d’O Pedrouzo (vous êtes à une vingtaine de km de Santiago).
  • Après A Lavacolla, vous arrivez dans le quartier San Marcos. Poursuivre sur la Rua do Gozo. Éviter la série d’escaliers en la contournant par la droite. Vous retrouverez la N-634 que vous prendrez à gauche (Compostelle à vélo).
  • Passez ensuite sur les ponts qui enjambent l’autoroute AP-9 puis la voie de chemin de fer. Continuer tout droit au grand rond-point qui passe par-dessus la route SC-20 (Compostelle à vélo).
  • Suivre le fléchage pour pénétrer dans Santiago jusqu’à la Cathédrale de Santiago de Compostela, point culminant de votre voyage.

RÉCIT

Nous prenons le petit déjeuner dans une chaleureuse boulangerie où se trouvent quelques pèlerins. Nous discutons avec une Française qui se dit passablement épuisée. Elle nous envie d’arriver à Saint-Jacques-de-Compostelle dès cet après-midi, alors qu’elle prendra deux jours. Sur la nationale très peu achalandée, nous profitons d’un lever de soleil aveuglant qui nous accompagne pour les premiers kilomètres.

Au moment d’un arrêt au haut d’une pente, nous nous abritons à l’ombre de l’autre côté de la route. Avec grande surprise, nous apercevons nos deux vélos bien en équilibre sur leur béquille.

En cette dernière journée, c’est un peu comme s’ils avaient (enfin) décidé de bien se tenir. Pour une grande partie du voyage, nous avons toujours dû appuyer notre vélo au moment où l’on s’arrêtait et cela exigeait de la force et pas mal d’imagination par moments. Nous avons peut-être appris à mieux équilibrer nos sacs, mais c’est la première fois que, sur le bord de la route, nos bécanes ont si fière allure et se maintiennent bien droites. Nous regardons la scène avec admiration et cette photo demeurera bien symbolique.

Jour 16 les velos stables

À partir d’O Pedrouzo, nous roulons sur le Camino avec les pèlerins qui sont de plus en plus nombreux à l’approche de St-Jacques-de-Compostelle. Nous devons actionner notre clochette pour avertir les marcheurs de notre présence. C’est Sylvie qui joue le rôle de maestro du klaxon puisque ma sonnette n’est pas bien fixée sur mon guidon et que je ne peux y avoir accès en toute sécurité. Puisque je la seconde, je me charge des habituelles salutations à nos complices de voyage. 

Jour 16 monte de gozo

 

 

Rouler ces derniers kilomètres en présence des pèlerins mobilise une énergie commune. Même si l’on ne se parle pas, je soupçonne que chacun de nous éprouve le plus grand des contentements à l’approche de notre destination.

Nous nous arrêtons au célèbre Monte do Gozo (Mont de la joie). Du haut de ce mont, on aperçoit pour la première fois la ville de St-Jacques-de-Compostelle et les tours de la cathédrale, notre destination. On y trouve plusieurs pèlerins et curieusement quelques cyclistes qui ne sont toutefois pas équipés de bagages. La plupart des écrits sur le Camino Francés condamnent le caractère touristique et kitch de ce lieu, notamment pour son monument en commémoration à la venue du pape Jean-Paul II qui a accueilli ici 500 000 jeunes en 1989. Comme à notre habitude, Sylvie et moi profitons avant tout du moment et de la vue imprenable sur St-Jacques. C’est surtout la courte distance qu’il nous reste à parcourir, soit cinq kilomètres, qui nous impressionne au plus haut point.

Nous descendons vers la ville silencieusement, mais avec une certaine frénésie. Saint-Jacques-de-Compostelle apparaît au départ plutôt banal sur le plan de l’environnement urbain. Par contre, l’image des pèlerins qui se multiplient et qui accélèrent le pas pour se rapprocher de leur destination est saisissante. Plus nous avançons vers le quartier historique, plus ces derniers se compressent dans les petites rues. Le flot de marcheurs se transforme en une espèce d’entonnoir. Nous décidons de nous arrêter à une terrasse centrale où l’on prendra notre repas et profiterons du spectacle qui s’offre à nous. Il n’est pas question de se rendre à la cathédrale l’estomac vide. Bien assises à siroter notre bière bien froide, nous apercevons au loin nos deux Polonaises. Nous plaisantons à l’idée que nous retrouvons ces deux filles de trente ans en moins et une batterie en plus au même moment au point d’arrivée. Elles sont vraisemblablement un peu moins éreintées que nous toutefois. Nous trinquons à la simplicité volontaire et au dépassement de soi en vélo hybride.

 

 

Bien rassasiées et gonflées à bloc, nous reprenons le chemin de la cathédrale en marchant à côté de nos vélos puisque l’on côtoie de plus en plus de monde sur les rues pavées de pierres. Nous passons sous la Puerta del Camino pour pénétrer dans le quartier historique. C’est très émouvant de s’approcher de la cathédrale de St-Jacques et de la Place de l’Obradoiro. Nous parvenons finalement à cet espace publique bien symbolique où apparaissent plusieurs pèlerins. Certains se retrouvent, d’autres sont seuls et procèdent au selfie. Sylvie et moi savourons pleinement ce moment tant attendu. Nous sommes sans mots, submergées par l’émotion. L’euphorie s’empare de nous et nous nous serrons dans les bras. « On l’a fait ! »  Après avoir pris une photo l’une de l’autre, nous repérons un homme qui se prête gentiment à l’exercice. 

Jour 16 arrivee a compostelle

À l’exemple de tous les pèlerins qui arrivent à Saint-Jacques-de-Compostelle (1), nous nous déplaçons vers le Bureau d’accueil afin d’obtenir notre fameuse compostela. La foule a déjà pris d’assaut les lieux. Je me dirige à l’intérieur pour comprendre le fonctionnement pendant que Sylvie surveille nos vélos à l’extérieur. Une dame me remet deux coupons où figurent les numéros 678 et 679, alors que l’on sert en ce moment la personne avec le 349. Elle me recommande de repasser à 19 h, ainsi il nous sera possible de pratiquer le rituel de la graduation et de la délivrance de notre diplôme de pèlerines. En sortant, je constate que se trouve un bureau d’information touristique et je me renseigne auprès du gardien au sujet des heures d’ouverture. Celui-ci me répond bien candidement que l’agence est fermée puisque c’est le week-end.

À une jolie terrasse, nous prenons bien sûr le temps de savourer notre arrivée dans ce lieu mythique. Au menu : un cocktail de satisfaction et de fierté combinée avec un soulagement procuré par quelques jours d’arrêt. Mes jambes me rappellent avec justesse que j’ai signé un engagement et qu’elles tiennent mordicus à ce massage planifié pour demain matin. Après avoir récupéré les clés de notre appartement et nous être rafraîchies, nous voilà de retour au Bureau des pèlerins. Nos numéros sont enfin affichés et nous nous présentons à une des huit préposés de l’accueil. Celle-ci examine minutieusement chacune des estampes, les lieux, les dates et nous regarde avec son air austère comme si l’on nous soupçonnait d’un délit quelconque. Je constate avec étonnement la rigueur de cette procédure. L’exercice de validation réussi, nous recevons finalement chacune notre compostela.

 

Jour 16 compostela

(La compostela indique que nous avons fait 779 km depuis Saint-Jean-Pied-de-Port, ce qui représente la distance parcourue sur le Camino, alors que nous avons roulé plutôt 850 km.)

Nous quittons le Bureau d’accueil avec notre compostela bien protégée, enroulée dans un tube d’expédition. Nous marchons vers notre appartement et non pas bras dessus bras dessous comme l’aurait voulu le gros plan de la fin d’un film hollywoodien. Notre complicité s’exprime bien autrement. Nous repassons près de la grande place de la cathédrale et discutons de la possibilité d’assister à la messe des pèlerins demain. Bonne idée. Toutefois, je dois honorer ma promesse faite à mes valeureuses jambes avant tout. 

RÉFLEXION DE LA JOURNÉE

Le penseur

Difficile de rédiger cette dernière réflexion ; il s’avère particulièrement délicat de trouver les mots justes. Cette seizième et ultime journée provoque différentes sensations qui se bousculent : le sentiment d’accomplissement, le besoin flagrant de repos et le deuil de cette aventure unique. En ce qui me concerne, l’arrivée sur la grande place de la cathédrale de St-Jacques-de-Compostelle a été bouleversante d’humanité. Ce lieu regroupe une multitude d’histoires de vie et de destins qui se croisent. C’est très touchant de se retrouver entourées de ces pèlerins manifestement heureux, satisfaits et soulagés. C’est le point culminant d’une longue route qui entraîne pour chacun le dépassement de soi. Au centre de ce site légendaire, je me remémorais certaines scènes éprouvantes de notre périple où chacune allait puiser au plus profond d’elle-même physiquement et moralement. J’ai revu également des séquences de grande complicité et de fous rires qui n’en finissaient plus.

« Le bonheur n’est pas au bout du chemin… Le bonheur c’est le chemin.» (Calas, op.cit., p. 8) L’arrivée à St-Jacques-de-Compostelle constitue une réalisation marquante, mais chacune des journées qui ont ponctué l’itinéraire y prend part. Le Chemin nous a appris que ce n’est pas la finalité qui importe, mais bien le vécu quotidien. Chaque parcours, du jour 1 au jour 16, a provoqué une série d’évènements inattendus dont nous avons su tirer le meilleur. Tout au long de la route, on constate combien la sobriété de l’environnement forme un contraste singulier avec l’intensité de l’expérience offerte. Je pense que c’est ce qui confère le charme et explique le mystère de ce parcours unique. Cette complicité développée avec le Chemin nous a-t-elle rendues dépendantes ? Chose certaine, nous nous sommes laissées imprégner par l’atmosphère de sérénité qui règne sur cette route. Aujourd’hui, nous devenons responsables de poursuivre la consolidation de notre propre paix intérieure, sans cette béquille « compostelllienne ». Cette nouvelle aventure ne fait que commencer pour chacune de nous deux maintenant. Buen camino !

(1) 347,578 personnes ont retiré leur compostela au bureau des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle en 2019.

189,837 ont opté pour le Camino francés (54,65 %).

50 % de ces pèlerins qui ont choisi le Camino francés ont commencé à Sarria (environ à 100 km)

En 2018, 6,35 % étaient des cyclistes.

(Site : pelerinsdecompostelle.com consulté le 29 juin 2020)

 

Une dernière réflexion sur le tourisme de masse du Camino Francés

Nous avons eu la bonne idée d’entreprendre notre voyage à la fin de l’été et d’éviter ainsi les désagréments engendrés par la haute saison. Seulement deux manifestations du tourisme de masse nous sont apparues tout au long de ces journées : les collectionneurs d’estampes qui se déplacent en bus et les « arracheurs » de plaques de bornes métriques. L’affluence des pèlerins particulièrement forte au cours des cent derniers kilomètres du Camino Francés s’ajoute à ces phénomènes. On se rappellera que le marcheur doit avoir parcouru cette distance minimale pour obtenir son compostela, à destination. J’ai lu qu’en haute saison, des bouchons se forment sur cette portion du chemin. Dans ces conditions, l’accès à une forme de spiritualité me paraît bien incertain.

Le pèlerinage sur le chemin de Compostelle se transforme comme bien d’autres destinations menacées par le tourisme de masse. Cette route mythique a perdu de son caractère d’aventure, de spiritualité et de profondeur. Influencées par les intérêts du marché, de nouvelles formes de voyage se créent. On favorise le court terme et la consommation rapide. Ainsi, la mode du 100 km garantit aux marcheurs une activité brève à digérer promptement. On assiste à la victoire commerciale et éphémère d’une trajectoire à laquelle on n’accorde plus de portée symbolique. Fort heureusement, en cette fin d’été, nous avons pu échapper en bonne partie à cette consommation du Chemin. Nous avons été en mesure de vivre une expérience unique imprégnée de la valeur qu’elle incarne. Je ne peux que recommander à tout pèlerin en devenir d’éviter la haute saison touristique.